Capitalisme vert ou décroissance conviviale?

Option nationale, Québec solidaire et la question écologique

La crise écologique est LE principal enjeu du XXIe siècle. Elle est à la fois le résultat et le principal facteur d’aggravation d’une crise sociale, économique et politique. Autrement dit, elle est la crise multidimensionelle de la modernité, qui remet en cause un modèle de civilisation basé sur le progrès matériel et technoscientifique infini. La manière dont les organisations civiles, économiques et politiques répondront à cette crise déterminera non seulement le bien-être des générations futures, mais leur existence même. Les limites planétaires, procurant un « espace d'opération sécuritaire pour l'humanité», ont déjà été atteintes.

Dans le contexte électoral actuel, deux partis relativement marginalisés prennent sérieusement en compte la crise écologique, qui ne se réduit pas à des questions environnementales isolées comme la préservation des espaces verts. Option nationale (ON) et Québec solidaire (QS), à la fois progressistes et indépendantistes, se disputent une nouvelle base militante motivée et sensible aux enjeux de notre époque, par-delà l’accroissement du PIB, la réduction de la dette et la « bonne gouvernance ». Ces partis, semblables sur de nombreux aspects, opèrent néanmoins selon des logiques différentes qui mettent en relief deux visions de l’écologie politique : le capitalisme vert et la décroissance conviviale. Si on laisse de côté le Parti vert du Québec (PVQ), qui se base sur les notions consensuelles de l’ONU et la Charte des Verts mondiaux en refusant de prendre position sur l’axe gauche/droite et le débat souverainisme/fédéralisme, nous pouvons examiner de plus près les plateformes nationalistes et solidaires afin de dégager les valeurs qui sous-tendent leurs propositions respectives.

Option nationale et le développement durable

Option nationale n’est pas un parti écologiste. Les questions environnementales sont traitées dans la section économique de la plateforme (2 – Pour une économie du Québec qui enrichit les québécois), et sont conçues en fonction du vocabulaire néolibéral dominant : le capital naturel (bois, eau, minerai, hydrocarbures), tout comme le capital humain (la matière grise) sont au service du développement national. Il s’agit en quelque sorte de rationaliser la gestion des ressources non-renouvelables pour assurer le plein développement des ressources cognitives nécessaires à l’innovation économique.

« Il faut une vision économique cohérente qui optimisera l’utilisation de ressources naturelles qui sont non renouvelables, afin de se doter d’un système économique viable à long terme basé sur une ressource renouvelable : nos citoyens et leur matière grise. » http://www.optionnationale.org/la-plateforme/2-pour-une-economie-du-quebec-qui-enrichit-les-quebecois

Même si l’importance de la « culture » est soulignée, l’éducation demeure perçue comme un « investissement » collectif, des critères de mise en marché venant baliser les compétences acquises par la gratuité scolaire. L’économie du savoir relève donc d’une logique de croissance verte et immatérielle, permettant d’assurer notre compétitivité internationale. Cela étant dit, le « capitalisme cognitif » nécessite énormément de ressources financières, et c’est pourquoi la nationalisation des ressources naturelles représente le principal levier de développement des forces productives.

Heureusement, Option nationale tient à respecter des critères minimums de protection de l’environnement. Il propose donc un moratoire sur le secteur du gaz et pétrole de schiste en attendant d’avoir l’aval d’une évaluation environnementale stratégique (EES), qui aurait « l’autorité objective » pour confirmer qu’il s’agit d’une exploitation sécuritaire sur le plan économique, social et environnemental. Malheureusement, le paradigme du « développement durable » sur lequel il s’appuie est problématique, car il vise à réconcilier des dimensions parfois contradictoires, dont la résolution provient généralement d’un calcul simplifié et utilitariste (coûts/bénéfices). Les questions sociale et écologique ne soulèvent donc pas des normes éthiques, des finalités politiques qui viendraient orienter ou limiter le développement économique ; ce sont plutôt des contraintes fonctionnelles associées aux risques d’une croissance qui demeure toujours le seul véritable objectif.

Sur le plan de l’exploitation des énergies sales, tous les partis non-écologistes répondent à la manière de Pauline Marois : « Oui, mais pas n’importe comment et pas à n’importe quel prix ». Les redevances sont le cœur de la question, même si celles-ci sont investies dans un fonds souverain visant à « compenser » à long terme la surexploitation des ressources non renouvelables. La substitution entre capital naturel et capital artificiel (richesse créée) est donc entièrement assumée, la compensation financière permettant de « réparer » la dette écologique irréversible qui sera produite par la pleine exploitation de la nature au service de la Nation.

L’électrification des transports collectifs et individuels, le monorail électrique suspendu, la diffusion massive d’Internet haute-vitesse, de même que l’indépendance énergétique basée sur le développement industriel des énergies renouvelables procède du paradigme de la modernisation écologique, qui voit la crise environnementale comme une opportunité de développement économique et technologique. La réforme fiscale visant à augmenter le capital technique des firmes locales, attirer les investissements étrangers et assurer le développement durable par le biais d’une éco-fiscalité (répondant à la responsabilité sociétale et environnementale des entreprises), relève donc d’un capitalisme vert d’État, dirigeant par son éthique éclairée une économie de marché écologisée.

La révision des paliers d’imposition, l’économie sociale et la démocratie participative seront certes « étudiées », mais resteront subordonnées à une social-démocratie ayant intériorisée les prémisses du néolibéralisme. Option nationale est donc, consciemment ou non, défenseur d’une nationalisation bourgeoise des appareils de production. Gouvernement, industries privées et universités marchent main dans la main pour assurer une croissance « durable » illimitée, supposément découplée des contraintes écologiques qui sont réduites à de simples moyens d’enrichissement, privé ou collectif.

Québec solidaire et la transition écologique

De son côté, Québec solidaire propose un « Plan vert » visant également un développement économique et écologique. S’il ne remet pas en cause le rôle de l’État et de l’économie de marché, ce plan remet directement en question le néolibéralisme et souhaite amorcer dès maintenant une « sortie du pétrole ». La différence entre le capitalisme vert et cette transition sociale, écologique et économique n’est pas de degré, mais de nature ; le premier « étend » la rationalité économique aux questions environnementales, alors que la seconde « critique » la rationalité marchande au nom de la justice sociale et écologique. L’homme et la nature ne sont pas deux types de capital qu’il faudrait valoriser afin de maximiser l’accumulation autonome de la valeur, mais deux biens communs interdépendants qu’il faut défendre contre l’hégémonie de la rationalité instrumentale, qui réduit toute chose à un simple moyen aux service d’intérêts privés et/ou étatiques.

La sortie du pétrole est la principale exigence que devront affronter, de manière volontaire ou forcée, l’ensemble des sociétés d’ici quelques années. Il ne s’agit pas de simplement réduire l’émission des gaz à effet de serre, qui contribuent certes aux changements climatiques, mais induisent des solutions partielles et irrationnelles si elles sont considérées de manière isolée. Rob Hopkins, dans son incontournable ouvrage Manuel de transition. De la dépendance au pétrole à la résilience locale (publié en 2010 chez Écosociété), explique que les deux principales questions écologiques doivent être articulées ensemble afin d’éviter les complications associées à une vision étroite de la crise. Voici un schéma qui permet de visualiser l’entrelacement des problèmes et solutions proposées pour faire face au pic pétrolier et aux changements climatiques.

Pic pétrolier
(considéré isolément à la manière du rapport Hirsch)
Rebâtir la résilience des communautés locales et réduire les émissions de CO2
Changements climatiques (considéré isolément à la manière du rapport Stern)
Charbon liquifié
Relocalisation planifiée
Ingénierie du climat
Gaz liquifié
Infrastructure énergétique décentralisée
Capture et stockage du carbone
Règlementation assouplie des forages
La grande requalification
Compensations des émissions par des arbres
Biocarburants à grande échelle
Production alimentaire locale
Bourses du carbone
Sables bitumineux et autres sources non conventionnelles (gaz de schiste)
Planification de la descente énergétique
Atténuation des effets du changement climatique
Protection et accumulation nationale des réserves
Monnaies locales
Amélioration de la logistique des transports
Rob Hopkins, Manuel de transition, Écosociété, 2010, p.38

On voit évidemment que la plupart des partis soutiennent des politiques publiques issues de la première et/ou de la troisième colonne, celle de gauche relevant d’un capitalisme « sale » (préconisé par les conservateurs et les lobbys industriels), celle de droite étant proposée par les partisans du « capitalisme propre » (soutenu par Option nationale et autres groupes environnementaux modérés). Seule la colonne du milieu tient lieu d’une vision écologiste et post-capitaliste, que certains nomment décroissance conviviale ou « Transition ». Bien que Québec solidaire soit encore à mi-chemin entre l’option social-démocrate réformiste et la perspective d’un dépassement du capitalisme basé sur la croissance illimitée, il souhaite déjà entreprendre une véritable transformation de la société.

L’un des meilleurs signes de ce souci « social et écologique » du Plan vert de développement économique provient non seulement des réformes fiscales proposées (augmentation substantielle des redevances sur les mines, l’eau, le capital financier), mais de sa prise en compte explicite des besoins des plus défavorisés (femmes, précaires, chômeurs), la non-exploitation du gaz et du pétrole, ainsi que la reconnaissance du besoin de réduire en amont notre empreinte écologique par un vaste chantier d’efficacité énergétique et même la sortie du travail! La crise écologique ne sera donc pas résolue par une solution technique (le mythe du « technological fix » défendu par la modernisation écologique), mais par une réorganisation sociale majeure, solidaire d’une transformation économique et politique profonde.

Contrairement aux environnementalistes qui considèrent qu’il faut d’abord attribuer une valeur intrinsèque à la nature et protéger les écosystèmes contre l’intrusion de l’homme, les partisans de l’écologie sociale croient qu’il faut avant tout abolir les rapports de domination de l’homme par l’homme (hiérarchies), pour que l’humain cesse d’exploiter la nature. Cela nécessite une réduction importante des inégalités sociales, une remise en question du règne de la propriété privée, et une critique des rapports de domination entre l’État et les communautés locales. Québec solidaire cible directement ces effets pervers du libre-marché dérégulé, qui asservit les populations et accélère la destruction des écosystèmes. Même si le parti ne soutient pas une vision éco-anarchiste, il vise à terme le dépassement du capitalisme et l’instauration d'une véritable démocratie participative à toutes les échelles, du quartier aux régions, de l’entreprise à l’État-nation.

Pour l’instant, Québec solidaire reste largement réformiste, à la manière d’Option nationale, et mise comme lui sur de nombreux chantiers de type keynésien, où l’État joue un rôle d’initiateur majeur : nationalisation des ressources naturelles, efficacité énergétique, électrification des transports collectifs, transport haute vitesse Montréal-Québec, développement des énergies alternatives, Pharma-Québec, etc. Si on regarde ces propositions concrètes, il n’y a pas de différence substantielle entre les deux partis progressistes et indépendantistes, qui collaboreraient assez bien à l’Assemblée nationale. Mais des nuances majeures permettent de distinguer les valeurs foncièrement anti-capitalistes de Québec solidaire. S’il peut y avoir d’importantes ressemblances entre ON et QS sur le plan des moyens ou des réformes, tout se joue au niveau des finalités du développement économique, social et écologique.

Or, une simple distinction de principes entre deux entités sert-elle à quelque chose si celles-ci sont identiques dans les faits? Pourquoi ne pas créer un seul parti au lieu de deux, si leur plateforme coïncident si bien? Nous ne voulons pas une guerre de mots ou d’idées, mais une différence politique concrète! Mise à part les différentes cultures politiques de chaque partie (souverainistes de gauche pour ON, gauchistes indépendantistes pour QS), il y a pourtant quelques propositions concrètes qui permettent d'amorcer une sortie du capitalisme. Ces réformes, quasi-révolutionnaires, sont ce qui distinguent le développement durable de l’écologie politique, le capitalisme vert de la décroissance conviviale.

Les trois « R » de l’écologie politique

Généralement, les trois « R » sont associés à la gestion et l’élimination des objets de consommation: Réduire, Réutiliser, Recycler. Nous pouvons dire qu’il s’agit des trois R de l’environnementalisme, c’est-à-dire de la vision qui tente de répondre à la crise écologique sans remettre en cause le mode de production et les institutions responsables de l’accroissement de la consommation matérielle. Le capitalisme, ou plus précisément la société de marché, a rapidement récupéré les préférences écologiques des consommateurs pour les mettre à son profit. Le citoyen moyen prend des sacs réutilisables pour aller au supermarché, recycle les feuilles de papier et essaie de réduire la surconsommation en achetant équitable. « Acheter c’est voter », dit Laure Waridel.

Ces comportements vertueux sont certes bénéfiques pour l’environnement dans une certaine mesure, mais ils perpétuent une logique de consommation où la responsabilité demeure surtout individuelle. Le citoyen-consommateur croit qu’il agit démocratiquement en influençant l’entreprise par son vote, alors qu’il renforce une vision économique et instrumentale de la réalité, où l’évolution écologique émanerait de l’auto-régulation du marché, guidé magiquement par l’ensemble des « petits gestes » des citoyens sensibilisés et dociles. Où est l’action politique, la contestation des lois iniques dictées par les élus municipaux, provinciaux ou fédéraux, les campagnes de boycott de masse, l’action directe, la désobéissance civile, l’organisation en partis écologistes municipaux visant à défaire la dictature du marché immobilier responsable de l’étalement urbain, etc.? La consommation responsable est-elle le dernier retranchement du cynisme politique?

Les gens ne sont pas impuissants parce qu'ils sont apathiques, ils sont apathiques parce qu'ils sont impuissants (Benjamin Barber). Le cynisme est le produit de relations économiques et politiques inégalitaires, et non l'inverse. Ce qu'il faut combattre, ce n'est donc pas l'apathie, mais les institutions qui rendent les gens impuissants! Pour combattre ces institutions, il faut cependant avoir le temps de s’engager dans la vie associative et politique, de découvrir des logiques non-marchandes, de développer des rapports sociaux coopératifs basés sur l’entraide, le soin, la créativité et la résistance. Moins de biens (matériels), plus de liens, disent les objecteurs de croissance. C’est ici qu’apparaît le premier R de l’écologie politique : Réduction du temps de travail. Voici un extrait intégral du programme de Québec solidaire sur la question :

Nous constatons qu’au cours des trente dernières années, il y a eu une augmentation de 37% de la productivité du travail au Canada alors que la durée moyenne de la semaine de travail à temps plein n’a pas diminué. En fait, entre 1998 et 2005 elle a augmenté de 44.6 heures à 46.3 heures. Résultat, les Québécoises et les Québécois ont de moins en moins de temps pour profiter de leur vie. Pour Québec solidaire, l’augmentation du temps libre favorisait un partage équitable du travail domestique entre les hommes et les femmes, le développement personnel et l’enrichissement des rapports avec nos proches en plus d’être une condition nécessaire à la participation active aux affaires de la collectivité, à la démocratie citoyenne. La réduction du temps de travail ouvre également la voie à la reconversion de l’économie dans un sens écologique et en vue d’un dépassement du capitalisme. L’adoption de l’augmentation du temps libre comme un des buts prioritaires de l’activité économique permettrait de réorienter l’économie axée sur un consumérisme effréné et de promouvoir des valeurs écologistes et humanistes. Pour atteindre cet objectif, Québec solidaire propose les mesures suivantes :

a)      Réduire la semaine normale de travail
Réduire immédiatement la semaine normale de travail à 35 heures pour la ramener graduellement à 32 heures avec possibilité alternative de prolonger les vacances. Le tout sans perte de rémunération, avec embauche proportionnelle et sans intensification du travail, et avec resserrement des conditions de recours aux heures supplémentaires dans toutes les entreprises.
b)      Réduction volontaire du temps de travail
Permettre à tous et à toutes de réduire leur temps hebdomadaire de travail sans pénalité si, sur préavis raisonnable, ils/elles en font la demande.

Cette mesure doit être jumelée au deuxième R de l’écologie politique, soit la Redistribution du travail. La répartition du travail au sein de l’entreprise est une excellente manière dont certains syndicats danois ont réussi à affronter des menaces de licenciements relatifs à une baisse de demande de l'entreprise. Les travailleurs planifiaient et distribuaient leurs tâches en fonction d’objectifs mensuels, de sorte que chacun travaillait quelques jours de moins par mois, afin que chacun puisse travailler sans être licencié. La productivité de l’usine a augmenté, les employés gagnaient un peu moins d’argent à la fin du mois, mais gagnaient beaucoup de temps libre qui leur permettait de passer du temps avec leurs familles, cuisiner, bricoler, s'informer, entreprendre des projets de vie, etc. À l’échelle de la société, une redistribution collective et équitable de certaines tâches (dans certains services publics municipaux par exemple) permettrait probablement d’économiser d’importants coûts, tout en donnant des emplois bien payés à une plus grande partie de la population, les individus pouvant ensuite vaquer aux activités de leur choix.

L’objectif ultime est donc de créer une société de multi-activité, où la flexibilité n’est plus une contrainte imposée par le marché mais une exigence démocratiquement choisie, l’absence d’emploi ou la baisse de salaire ne devant plus engendrer un asservissement supplémentaire au travail salarié, mais une occasion d’investir des sphères d’activités non-marchandes et coopératives sans avoir peur de perdre son logement ou mourir de faim. C’est ici qu’apparaît le troisième R de l’écologie politique : le Revenu social garanti.

Revenu social garanti

Il existe deux principales sortes de revenu garanti : un revenu minimum de subsistance de type néolibéral, et un revenu suffisant garanti, également nommé revenu universel de citoyenneté. D’une part, si l’allocation est insuffisante pour protéger contre la misère, elle subventionnera en fait des emplois de faible qualification via le cumul d’un revenu social de base (insuffisant) et d’un salaire bas. La logique néolibérale vise ainsi à transformer la plupart des allocations (familiale, aide sociale, assurance-emploi, etc.) en un revenu unique, ce qui incitera les chômeurs à travailler même pour des emplois peu considérés. Par exemple, le workfare américain lie le revenu minimum de subsistance à une obligation de fournir un travail « d’utilité publique » (comme des services d’entretien), en sous-payant ce travail (par rapport à des emplois syndiqués), ceci permettant de faire économiser beaucoup d’argent à la municipalité.

Cette interprétation néolibérale du revenu garanti stigmatise et culpabilise les chômeurs, ceux-ci étant considérés comme responsables de leur condition (plutôt que le système économique qui élimine massivement le travail), tout en subventionnant les employeurs en leur permettant de payer les employés en dessous du salaire de subsistance. « Le revenu d’existence permet dès lors de donner un formidable coup d’accélérateur à la dérèglementation, à la précarisation, à la flexibilisation du rapport salarial, à son remplacement par un rapport commercial. » (André Gorz, Misères du présent, richesses du possible, 1997, p.137) Autrement dit, cette politique accélère la précarisation car les exigences de rentabilité dictent la flexibilisation du temps de travail, au lieu que les travailleurs puissent gérer eux-mêmes leur temps libre.

À l’inverse, une allocation universelle inconditionnelle, garantissant un revenu social suffisant, permet de contrer les effets pervers du revenu minimum en affranchissant les individus des contraintes du marché du travail. Loin de représenter une sorte d’assistance sociale généralisée (les individus étant mis sous la tutelle de l’État-providence), elle est d’abord et avant tout une politique générative, c’est-à-dire une manière d’inciter les individus à se prendre en charge par des activités autonomes, où la valeur d’usage (temps libre) prédomine sur la valeur d’échange (travail salarié).

Le revenu social de base doit leur permettre de refuser le travail et les conditions de travail indignes ; et il doit se situer dans un environnement social qui permette à chacun d’arbitrer en permanence entre la valeur d’usage de son temps et sa valeur d’échange : c’est-à-dire entre les utilités qu’il peut acheter en vendant du temps de travail et celles qu’il produit par l’autovalorisation de ce temps. (André Gorz, Misères du présent, richesses du possible, 1997, p.137.)

Québec solidaire et l’Option conviviale

Québec solidaire propose d’instaurer un revenu minimum garanti de 12000$ par année lors de son premier mandat, pour ensuite l’augmenter progressivement à 18000$. Cette mesure est de loin la plus ambitieuse du programme, et elle fournit en quelque sorte les bases d'une émancipation radicale du capitalisme. Mais l’autogestion du temps libre ne doit pas laisser place à l’anomie et à la consommation débridée, de sorte qu’on se retrouverait avec une société disloquée. Une dotation minimale inconditionnelle, en termes de services publics gratuits (santé, éducation, transports en commun), ou encore sous forme de monnaie locale pour encourager la résilience des communautés, ou un accès garanti à des jardins communautaires urbains ou ruraux, permettrait de donner à tous et à toutes les « outils primordiaux de la vie concrète », c’est-à-dire les infrastructures collectives nécessaires pour répondre adéquatement aux besoins sociaux, tout en maximisant la liberté de chacun.

Pour qu’il y ait une économie plurielle, c’est-à-dire une cohabitation entre des entreprises à finalité sociale, coopérative et non-lucrative (économie sociale), activités familiales et bénévoles (économie domestique), entreprises étatiques et para-publiques (économie publique), petites et moyennes entreprises marchandes (économie privée), il faut que les citoyens ne soient plus esclaves des lois du marché, c’est-à-dire qu’ils ne soient plus obligés de vendre leur force de travail à un système d’exploitation des ressources humaines et naturelles. L’Option conviviale, c’est-à-dire la possibilité de s’écarter dès maintenant de la société marchande responsable de la crise écologique, est la meilleure manière d’échapper à la logique de croissance infinie, même si elle sert les « intérêts des québécois » à court terme. Il faut dès maintenant choisir et entreprendre une décroissance démocratiquement planifiée, pour éviter de subir une décroissance forcée par la montée des mers, la fin du pétrole, l’épuisement des stocks de poissons, les sècheresses, les crises économiques structurelles, etc.

Un État national fort, un monorail électrique suspendu, une « économie verte » ou une démocratie représentative améliorée ne peuvent pas être des objectifs politiques : ce ne sont que des moyens pour libérer les forces créatives des citoyennes et citoyens québécois. Leur « matière grise » n’est pas un capital humain à valoriser sur le marché, mais un « bien commun » qui retrouve son expression dans la Solidarité, celle-ci devant être garantie par un droit pour tous d’exister sans travailler. À la phrase de Saint-Paul et des Lucides qui affirment : « Si quelqu’un ne veut pas travailler, qu’il ne mange pas non plus », Michel Chartrand répondrait : « Le revenu de citoyenneté fera un jour partie de la Constitution du pays du Québec, et c'est nous qu'on imitera, si nous en avons la volonté politique. »

Commentaires

  1. Monsieur, vos textes sont simplements splendides et extrèmement enrichissants !

    Continuez comme ça, j'attends chaque nouveau texte avec impatience.

    RépondreSupprimer

Enregistrer un commentaire

Articles les plus consultés